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ABOLITION PEINE DE MORT

ABOLITION DE LA PEINE DE MORT EN FRANCE - 1981

Le 18 septembre 1981, par 363 voix contre 117, l'Assemblée nationale adopte, après deux jours de débats, le projet de loi portant abolition de la peine de mort présenté, au nom du Gouvernement, par Robert Badinter, garde des Sceaux, ministre de la justice. Douze jours plus tard, le texte est voté dans les mêmes termes par le Sénat, par 160 voix contre 126.

C'est l'aboutissement du long combat mené depuis deux siècles par la cohorte de ceux qui, dans les enceintes parlementaires, dans les prétoires ou dans leurs écrits, ont défendu la cause de l'abolition devant une opinion réticente, voire résolument hostile.

Selon l'association Ensemble Contre la Peine de Mort en janvier 2009, depuis Saint-Marin en 1848 et le Venezuela en 1863, « quatre-vingt-treize pays ont aboli la peine de mort pour tous les crimes, neuf l'ont aboli pour tous les crimes sauf crimes exceptionnels, tels que ceux commis en temps de guerre. Trente-six pays peuvent être considérés comme abolitionnistes de facto. Au total, 138 pays n'exécutent plus. » Parmi les derniers à avoir aboli figurent notamment le Kazakhstan et le Togo en 2009; mais 81 continuent à procéder à des exécutions.

 

En France - Discours de Robert Badinter en 1981 :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, j'ai l'honneur au nom du Gouvernement de la République, de demander à l'Assemblée nationale l'abolition de la peine de mort en France. En cet instant, dont chacun d'entre vous mesure la portée qu'il revêt pour notre justice et pour nous, je veux d'abord remercier la commission des lois parce qu'elle a compris l'esprit du projet qui lui était présenté et, plus particulièrement son rapporteur, Monsieur Edmond Forni, non seulement parce qu'il est un homme de coeur et de talent mais parce qu'il a lutté dans les années écoulées pour l'abolition. Au-delà de sa personne et comme lui, je tiens à remercier tous ceux, quelle que soit leur appartenance politique qui, au cours des années passées, notamment au sein des commissions des lois précédentes, ont également oeuvré pour que l'abolition soit décidée, avant même que n'intervienne le changement politique majeur que nous connaissons. Cette communion d'esprit, cette communauté de pensée à travers les clivages politiques montrent bien que le débat qui est ouvert aujourd'hui devant vous est d'abord un débat de conscience et le choix auquel chacun d'entre vous procédera l'engagera personnellement. Raymond Forni a eu raison de souligner qu'une longue marche s'achève aujourd'hui. Près de deux siècles se sont écoulés depuis que dans la première assemblée parlementaire qu'ait connue la France, Le Pelletier de Saint-Fargeau demandait l'abolition de la peine capitale. C'était en 1791. Je regarde la marche de la France. La France est grande, non seulement par sa puissance, mais au-delà de sa puissance, par l'éclat des idées, des causes, de la générosité qui l'ont emporté aux moments privilégiés de son histoire. La France est grande parce qu'elle a été la première en Europe à abolir la torture malgré les esprits précautionneux qui, dans le pays, s'exclamaient à l'époque que, sans la torture, la justice française serait désarmée, que, sans la torture, les bons sujets seraient livrés aux scélérats. La France a été parmi les premiers pays du monde à abolir l'esclavage, ce crime qui déshonore encore l'humanité. Il se trouve que la France aura été, en dépit de tant d'efforts courageux l'un des derniers pays, presque le dernier - et je baisse la voix pour le dire - en Europe occidentale, dont elle a été si souvent le foyer et le pôle, à abolir la peine de mort. Pourquoi ce retard ? Voilà la première question qui se pose à nous. Ce n'est pas la faute du génie national. C'est de France, c'est de cette enceinte souvent, que se sont levées les plus grandes voix, celles qui ont résonné le plus haut et le plus loin dans la conscience humaine, celles qui ont soutenu, avec le plus d'éloquence la cause de l'abolition. Vous avez, fort justement, monsieur Forni, rappelé Hugo, j'y ajouterai, parmi les écrivains, Camus. Comment, dans cette enceinte, ne pas penser aussi à Gambetta, à Clemenceau et surtout au grand Jaurès ? Tous se sont levés. Tous ont soutenu la cause de l'abolition. Alors pourquoi le silence a-t-il persisté et pourquoi n'avons-nous pas aboli ? Je ne pense pas non plus que ce soit à cause du tempérament national. Les Français ne sont certes pas plus répressifs, moins humains que les autres peuples. Je le sais par expérience. Juges et jurés français savent être aussi généreux que les autres. La réponse n'est donc pas là. Il faut la chercher ailleurs. Pour ma part j'y vois une explication qui est d'ordre politique. Pourquoi ? L'abolition, je l'ai dit, regroupe, depuis deux siècles, des femmes et des hommes de toutes les classes politiques et, bien au delà, de toutes les couches de la nation. Mais si l'on considère l'histoire de notre pays, on remarquera que l'abolition, en tant que telle, a toujours été une des grandes causes de la gauche française. Quand je dis gauche, comprenez moi, j'entends forces de changement, forces de progrès, parfois forces de révolution, celles qui, en tout cas, font avancer l'histoire. (Applaudissements sur les bancs des socialistes, sur de nombreux bancs des communistes et sur quelques bancs de l'union pour la démocratie française) Examinez simplement ce qui est la vérité. Regardez-la. J'ai rappelé 1791, la première Constituante, la grande Constituante. Certes elle n'a pas aboli, mais elle a posé la question, audace prodigieuse en Europe à cette époque. Elle a réduit le champ de la peine de mort plus que partout ailleurs en Europe. La première assemblée républicaine que la France ait connue, la grande Convention, le 4 brumaire an IV de la République, a proclamé que la peine de mort était abolie en France à dater de l'instant où la paix générale serait rétablie.

 

 

Historique En France :

A partir de la Révolution française, les parlementaires débattent longuement de la question de la peine de mort. Trois périodes marquent ces débats : 1791, 1848 et 1906-1908.

En 1791, l’Assemblée constituante lance le débat, à l’occasion du projet de réforme du code pénal. Le rapporteur du projet, Le Pelletier de Saint-Fargeau, plaide pour l’abolition de la peine de mort, qu’il juge inefficace et inutile. L’Assemblée constituante rejette l’abolition mais décide néanmoins de supprimer la torture, de réduire les crimes capitaux et d’uniformiser le mode d’exécution de la peine : "Tout condamné à mort aura la tête tranchée". La guillotine est instituée par un décret du 20 mars 1792.

En 1848, le débat renaît avec la IIe République. En février 1848, le gouvernement provisoire abolit par décret la peine de mort en matière politique. Au mois de septembre suivant, l’Assemblée constituante adopte l’article 5 du projet de la Constitution confirmant l’abolition pour raisons politiques mais rejette plusieurs amendements, défendus par Victor Hugo, en faveur d’une abolition totale.

En 1906-1908, le débat reprend dans un contexte favorable. Le nouveau président de la République Armand Fallières, partisan de l’abolition, gracie tous les condamnés au début de son mandat. En 1906, un projet et deux propositions de loi sur l’abolition sont déposés. Ils ne sont discutés qu’en 1908. Malgré une assemblée majoritairement à gauche, le projet échoue.

En 1981, en pleine campagne électorale pour la présidentielle, François Mitterrand déclare à la télévision qu’il est contre la peine de mort. L’abolition de la peine de mort est la 53e mesure des 110 propositions, programme du candidat.

 

LOI BADINTER DE 1981 - CONTRE LA PEINE DE MORT

Le 10 mai 1981, François Mitterrand est élu président de la République. Les élections législatives du 21 juin lui confèrent une majorité absolue à l’Assemblée nationale. Les conditions sont réunies pour que la peine de mort soit abolie. Robert Badinter, garde des Sceaux du gouvernement de Pierre Mauroy, a la responsabilité de défendre le projet de loi projet de loi.

Le 26 août 1981, le projet de loi est présenté en Conseil des ministres. Trois jours plus tard, il est déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale. Il comprend sept articles :

  • l’article 1er pose le principe de l’abolition de la peine de mort ;

  • l’article 2 remplace la peine de mort par la réclusion criminelle à perpétuité ou la détention criminelle à perpétuité ;

  • les articles 3 à 6 abrogent ou modifient des articles des codes pénal, de procédure pénale et de justice militaire traitant de la peine de mort ;

  • l’article 7 rend la loi applicable outre-mer.

Le 17 septembre, les députés entament l’examen du projet, défendu par Robert Badinter dans un discours devenu célèbre : "J’ai l’honneur, au nom du Gouvernement de la République, de demander à l’Assemblée nationale l’abolition de la peine de mort en France".

Le 18 septembre, l’ensemble du projet est adopté par les députés par 363 voix contre 117.

Le 28 septembre, le débat débute au Sénat. Plusieurs sénateurs déposent des amendements, dont Edgar Faure, en vue de maintenir la peine capitale pour les crimes les plus odieux. Le 30 septembre, les sénateurs rejettent cet amendement (les autres sont retirés) et votent le projet de loi dans les mêmes termes que les députés, par 160 voix contre 126.

Le texte est donc définitivement adopté. Pour Robert Badinter, "La vraie surprise et la vraie victoire parlementaire (...) ont été le vote de la loi par le Sénat, très hostile au gouvernement de la gauche, dans les mêmes termes que l’Assemblée nationale".

Le 9 octobre 1981, la loi est promulguée. La France devient ainsi le 35e pays dans le monde à prohiber la peine de mort.

 

 

Le renforcement de l’abolition après 1981

La France a confirmé et renforcé la valeur juridique de l’abolition de la peine de mort :

  • En 1986, elle ratifie le protocole n°6 additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH), qui fait de l’abolition en temps de paix une obligation juridique pour les États signataires. Avec cette ratification, l’abolition acquière la force d’un engagement international, qui lui donne un caractère quasi-irréversible.

  • Le 23 février 2007, elle inscrit l’interdiction de la peine de mort dans la Constitution. Son article 66-1 dispose désormais que "Nul ne peut être condamné à la peine de mort". L’abolition est désormais élevée au sommet de la hiérarchie des normes.

  • Le 2 octobre 2007, elle ratifie le 2e protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 15 décembre 1989, visant à abolir la peine de mort. Ce protocole complète le Pacte international sur les droits civils et politiques du 16 décembre 1966, dit Pacte de New-York, dont l’article 6 limitait la possibilité d’appliquer la peine de mort aux crimes les plus graves.

  • Le 10 octobre 2007, elle ratifie également le protocole n°13 à la CEDH du 3 mai 2002 relatif à l’abolition de la peine de mort en toutes circonstances.